#Business #Transition Verte
Publié le 19/10/21
Lecture 25 Min.
Publié le 19/10/21
Lecture 25 Min.
#Business #Transition Verte

Au rythme actuel, l’économie mondiale devrait générer 3,4 milliards de tonnes de déchets par an en 2050, presque deux fois plus qu’aujourd’hui, alors qu’elle peine déjà à les collecter et les traiter. Parallèlement, le « jour du dépassement de la Terre », date à laquelle l’humanité a consommé toutes les ressources que la Terre peut régénérer en une année, avance inéluctablement : il tombait le 29 juillet cette année. Face à cette croissance exponentielle des déchets et à l’épuisement des ressources, l’économie circulaire offre une véritable alternative au modèle linéaire actuel. Comment l’économie circulaire peut-elle s’imposer comme nouveau modèle de société ? Retrouvez notre dossier complet, avec deux experts de Natixis, Ashley Blows, responsable du secteur transport & environnement et Radek Ján, expert en infrastructure et finance verte.

RADEK
JáN

Expert en infrastructure et finance verte

ASHLEY
BLOWS

Responsable du secteur transport & environnement 

De l’économie linéaire à l’économie circulaire

« La dégradation du capital naturel compromet déjà le bien-être de 3,2 milliards de personnes, soit 40 % de l'humanité. Heureusement, la Terre est résiliente. Mais elle a besoin de notre aide. Nous avons encore le temps d'inverser les dégâts que nous avons causés ». Cette déclaration du secrétaire général des Nations unies lors de la journée de l’environnement du 5 juin dernier est une invitation à un changement de paradigme : passer de l’économie linéaire, régie par le cycle extraire / produire / consommer / jeter, à l’économie circulaire. Ce modèle vise à éviter le gaspillage des ressources et à maintenir l’utilité et la valeur des produits : exploitation durable, écoconception, consommation responsable…

 

Une croissance exponentielle des déchets

La réduction des déchets - et leur traitement - est au cœur de l’économie circulaire. Chaque année, 2 milliards de tonnes de déchets sont produits dans le monde. Un volume colossal amené à atteindre 3,4 milliards de tonnes à horizon 2050 selon la Banque mondiale, sous l’effet de la pression démographique, de la croissance de la consommation dans les pays développés, de l’aspiration des pays émergents à un mode de consommation similaire.

Or, la gestion des déchets est très inégale selon les régions du globe : environ 90 % des déchets des pays à faible revenus sont rejetés à ciel ouvert ou brûlés, avec des conséquences désastreuses sur l’environnement, la santé et la sécurité. La production de plastique, par exemple, est passée de 2 à 380 millions de tonnes depuis 1950 ; elle devrait doubler d’ici à 2035 et quadrupler d’ici à 2050. Pourtant, 10 % seulement des déchets plastiques sont recyclés, selon l’Agence Européenne de l’Environnement.

 

Des infrastructures insuffisantes

Les raisons ? L’insuffisance d’infrastructures de collecte et de traitement. De nombreux pays n’y ont tout simplement pas accès, et le cadre réglementaire peu contraignant n’incite pas vraiment à les développer. Même l’Europe, pourtant très au fait de ces sujets, exporte, faute d’infrastructures, une partie de ses déchets. En l’occurrence, pour les plastiques, vers l’Asie - où ils sont au mieux traités avec des standards dégradés, la plupart échouant dans les cours d’eau, les décharges ou les incinérateurs. À la pollution marine et la prolifération de microplastiques s’ajoute l’impact climatique : la production de plastique - majoritairement dérivé d’énergies fossiles - et sa combustion entraînent l’émission de gaz à effet de serre.

 

La démarche circulaire n’est pas encore « rentable »

Autre frein majeur : les difficultés techniques et la rentabilité insuffisante de la démarche circulaire. C’est particulièrement le cas des équipements électriques et électroniques : les composants sont difficiles à isoler et les déchets contiennent parfois des substances toxiques qui les rendent impossibles à recycler. Le prix des composants recyclés est souvent supérieur aux matières premières primaires. Pour cette raison, les matériaux issus de terres rares sont rarement récupérés pour la fabrication des téléphones mobiles et autres batteries. De même, si les matériaux de construction sont plutôt bien recyclés (70 % dans l’Union européenne), ils sont relégués au remblayage ou aux routes. Leur utilisation dans la construction pourrait être nettement améliorée par leur standardisation, une meilleure information sur leur qualité, et des politiques incitatives.

 

Pour une réglementation incitative

Face à ce constat, comment engager le tournant vers l’économie circulaire ? Les consommateurs ont un pouvoir certain en triant leurs déchets, en conservant leurs équipements plus longtemps, en les faisant réparer, en privilégiant les produits locaux, issus du recyclage… L’éducation, les campagnes de sensibilisation, peuvent également accélérer la prise de conscience.

Toutefois, sans réglementation incitative - ou dissuasive, il y a peu de chance d’arriver à un véritable changement de paradigme. La collecte des déchets constitue un exemple révélateur. La France produit 4,6 % de déchets de moins par habitant depuis 2007, selon l’ADEME : la mise en place de la tarification incitative permet un acte de tri plus efficient pour les ménages, la mise en place obligatoire du tri des déchets pour les entreprises a augmenté le taux de recyclage. Dans le bâtiment, un tri rigoureux sur les chantiers peut encore améliorer le recyclage des différents matériaux. Dans l’électronique, la réglementation peut instaurer des schémas de responsabilité des producteurs, les incitant à trier et à privilégier les composants issus du recyclage.

La finance a également un rôle fondamental à jouer. Les instruments financiers comme les obligations vertes et les prêts indexés à des critères ESG sont parfaitement adaptés aux thématiques de valorisation des déchets et d’économie vertueuse. Les investisseurs, de plus en plus tenus à leurs engagements ESG, montrent un intérêt croissant pour cette catégorie de placements.

 

Nous avons le droit d’être optimistes

Nous avons le droit d’être optimistes. La transition vers une économie circulaire est engagée. Les prises de conscience ancrent de nouvelles habitudes de consommation. L’Union Européenne a défini son plan d’action dans le cadre du « paquet économie circulaire européen ». De nombreuses initiatives du G7 et du G20, comme l’Alliance du G7 (2015) ou le dialogue du G20 (2017) pour l’utilisation efficace des ressources, vont dans le sens d’une économie circulaire. La technologie pour éco-concevoir et traiter les différents déchets existe, l’innovation est permanente, l’efficacité croissante. Les industriels, les investisseurs, se fixent des critères ESG de plus en plus engagés. Il faut pour cela que les réglementations actionnent les leviers où l’économie circulaire peut progresser.