#Business #Etudes & Recherche #Transition Verte
Publié le 14/05/20
Lecture 7 Min.
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Le secteur des infrastructures devrait beaucoup mieux résister dans la crise actuelle que les secteurs cycliques, même s’il n’est pas totalement épargné. La crise ne nous semble pas remettre en cause la feuille de route stratégique des acteurs du secteurs. Surtout, elle devrait agir comme catalyseur des efforts entrepris dans l’Union européenne pour respecter les accords de Paris 2015 sur le climat. Décryptage par Ivan Pavlovic, spécialiste Infrastructure / Green & Sustainable, recherche CIB Natixis.

Le secteur des infrastructures, également connu sous le terme de utilities, englobe une large gamme d'activités traditionnellement non cycliques comme : la fourniture d'électricité et de gaz, la production d'électricité d'origine conventionnelle et renouvelable notamment solaire et éolienne ; l'approvisionnement en eau ainsi que le tri et le recyclage des déchets ; et enfin, l'exploitation des réseaux de transport et de distribution d'électricité et de gaz.

Même si ces activités ne sont pas cycliques par nature, elles ne sont pas totalement épargnées par la crise actuelle. Le secteur est principalement touché à deux niveaux : d'abord, au niveau de la consommation électrique, qui est en baisse de 15 % à 25 % en France, Italie et Espagne depuis la mi-mars. Le second niveau est celui des volumes de déchets industriels et commerciaux, eux aussi fortement impactés par le contexte actuel. Dans un environnement économique qui va rester déprimé en Europe après la levée des mesures de confinement, les tendances en termes de volumes sur ces deux segments vont vraisemblablement se calquer sur celles des indicateurs macro-économiques dans les prochains mois.

À ce stade, le segment le plus touché est celui de la production d'électricité, en raison de l'effondrement précité de la consommation. EDF prévoit ainsi que la contraction de la demande d'électricité en France pourrait aller jusqu'à 20 % en 2020. L'électricien a d'ailleurs réagi en aménageant les plannings d'utilisation de ses centrales nucléaires et a prévu de réduire de 20 % la production associée cette année. Toutefois, les prix à terme à 1 an en France et en Allemagne sont aujourd'hui quasiment en ligne avec les niveaux d'avant crise.

Malgré ces impacts, le secteur des infrastructures devrait beaucoup mieux résister à la crise actuelle que les secteurs cycliques pour 5 raisons :

  • Tout d'abord, ce secteur offre des services essentiels au bon fonctionnement de l'économie moderne.
  • Deuxièmement, mis à part certains acteurs comme Fortum ou Uniper qui sont principalement des producteurs d'électricité sur les marchés de gros, la plupart des opérateurs ont un profil opérationnel diversifié et tirent 20 % à 80% de leur chiffre d'affaires d'activités réglementées ou régies par des contrats de long terme.
  • Troisièmement, les activités de réseaux, réglementées, bénéficient de mécanismes de pass-through, ou lissage des revenus autorisés, permettant de compenser à partir de 2021 l'impact financier des baisses de consommation d'électricité et de gaz relevées cette année.
  • Quatrièmement, les acteurs du secteur peuvent répondre à la dégradation de l'environnement général en activant différents leviers de consolidation de leur profil financier, comme la réduction des dividendes et la baisse des charges d'exploitation et d'investissements.
  • Enfin, tous les acteurs du secteur conservent une excellente capacité d'accès aux marchés de capitaux même dans les périodes les plus tendues comme vu récemment.

 

Au total, en tenant compte de tous ces paramètres, et à l'exception de certaines situations spécifiques, nous prévoyons que la contraction de l'EBITDA dans le secteur en 2020 sera limitée, de l'ordre de -5 % à -10 %.

À plus long terme, la crise actuelle peut-elle avoir des conséquences structurelles sur le secteur ?

Même si la crise va affecter la génération de cash-flow des acteurs du secteur, elle ne nous semble pas remettre en cause leur feuille de route stratégique. Avant la crise, la plupart des acteurs, si ce n'est tous, s'étaient engagés dans d'importants programmes de transformation pour se conformer aux politiques de transition énergétique et de décarbonation à l'œuvre au niveau européen. Au cours des cinq dernières années, les utilities ont consacré l'essentiel de leurs dépenses d'investissements au développement de capacités renouvelables et au déploiement et à la digitalisation des réseaux.

Dans le secteur électrique, les efforts de modernisation sur les réseaux portent sur l'intégration de capacités de production renouvelable. Dans le secteur du gaz, ces efforts, plus récents, concernent des initiatives d'intégration des gaz bas carbone, comme le biométhane et l'hydrogène, afin de favoriser leur transport par les infrastructures existantes.

Dans ce contexte, la crise pourrait agir comme un catalyseur, tant au niveau de l'Union européenne que de chacun des états membres, pour intensifier les efforts déjà engagés en vue d'atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Rappelons que cet objectif constitue une pierre angulaire de l'accord de Paris signé en 2015 sur le climat. Tel est l'objectif principal du « pacte vert » dévoilé en décembre dernier par la présidente de la Commission européenne, Ursula von Der Leyen.

Sur fond de Covid-19, ce pacte, dont le contenu est toujours attendu, devrait désormais concourir à la réalisation de deux objectifs. Premièrement, il devrait contribuer à la reprise économique de l'Union européenne, en finançant de très larges investissements et en soutenant les industries localisées sur le continent. Deuxièmement, il devrait permettre d'accélérer la transition vers une économie bas carbone à travers deux leviers principaux : le premier, l'expansion continue des énergies renouvelables et l'utilisation accrue de l'électricité comme agent décarbonant, en particulier dans le secteur du transport. Le second levier, c'est le développement de l'hydrogène vert comme substitut au charbon, au pétrole et au gaz naturel, soit comme matière première, soit comme vecteur énergétique dans des industries difficiles à décarboner, comme la production d'acier et le transport.