Les acteurs publics et financiers s’interrogent sur la manière dont les cryptomonnaies peuvent s’intégrer dans le cadre réglementaire actuel. Elles n’en restent pas moins de nouvelles valeurs à fort potentiel. Décryptage.
Une mise à l’épreuve internationale
Le Libra, la nouvelle monnaie numérique en cours de lancement par Facebook, inaugure une nouvelle ère dans le développement des cryptomonnaies. Si elle fait beaucoup d’émules, ce n’est pas le nombre d’utilisateurs existants qu’elle touchera qui inquiète mais bel et bien son fonctionnement en consortium privé qui outrepasse la valeur publique des autres monnaies. Les acteurs bancaires et publiques questionnent de plus de plus la valeur intrinsèque et la manière dont ces nouvelles monnaies peuvent s’intégrer dans le cadre réglementaire actuel. Souvent critiquées pour faciliter le détournement des fonds et le financement d’activités illicites, les cryptomonnaies n’en restent pas moins de nouvelles valeurs à fort potentiel.
Le digital ouvre la voie à une transformation financière sans précédent. Quelles sont les risques et les opportunités à saisir pour les grandes institutions bancaires et financières ?
Libra, cryptomonnaies, bitcoin : des devises instables
Les cryptomonnaies sont nombreuses, qu’il s’agisse du Bitcoin, de Monero, d’Ethereum, et prochainement de Dune, le projet ambitieux français de cryptomonnaie. Elles sont basées sur la technologie « blockchain » ; c’est-à-dire une chaîne de blocs fonctionnant comme un registre numérique public et infalsifiable rendant le transfert anonyme et sécurisé.
Là où le bât blesse est le manque de régulation de ces cryptomonnaies : ainsi des criminels ont profité de leur anonymat pour monnayer des activités illicites. De plus, beaucoup de cryptomonnaies ne sont adossées à aucun actif « réel ». Leur volatilité constitue également un frein majeur à leur adoption. En témoigne les spéculations autour du bitcoin qui ne valait pas grand-chose à son lancement en 2009, avant d’atteindre une valorisation à 19 511 dollars en décembre 2017 pour retomber actuellement à environ 9 000 dollars.
Le Libra, en un sens, se veut plus stable en s’appuyant sur un panier de devises réelles censé en garantir le cours. Pourtant, il fait débat : l’ensemble des acteurs bancaires, des régulateurs internationaux et la Réserve fédérale américaine réclament des garanties sur le projet de Facebook. D’autant plus que le nombre d’utilisateurs potentiels est important, de l’ordre de 2,41 milliards de comptes actifs. Une levée de boucliers qui, toutefois, selon les analystes, ne ralentira pas l’ascension des cryptomonnaies…
Quelle valeur attribuer à ces monnaies numériques ?
La valeur d’une monnaie numérique qui pourrait être mesurée par l’étendue de son usage, rééquerrerait que celle-ci soit soumise aux réglementations en vigueur. Elle doit également être soumise à des vérifications et audits systématiques pour s’intégrer dans l’écosystème global de l’économie mondiale. Pour le moment, cette position n’est ni évidente ni acquise pour les cryptomonnaies qui présentent encore des valeurs différentes aux yeux de leurs utilisateurs, des spéculateurs ou des acteurs financiers et bancaires. Le manque de fongibilité des monnaies numériques en fait à ce stade des produits financiers marginaux.
L’émergence de ces nouveaux actifs numériques soulève d’autres problématiques : le cadre réglementaire reste à ce jour trop limitatif pour appréhender toutes les spécificités de ces nouveaux produits et systèmes engendrés par l’innovation financière. Alors, comment intégrer ces monnaies numériques en plein essor ?
Certains gouvernements cherchent à encadrer ces monnaies numériques et à les inclure de manière officielle dans leur système économique. La Chine s’apprête, par exemple, à lancer sa propre cryptomonnaie souveraine, afin notamment de mieux réguler la circulation et l’internationalisation du yuan. Le « crypto-yuan » en cours de développement est aussi perçu comme une réponse à l’offensive des géants de la tech dans le secteur des cryptomonnaies.
Un terrain d’entente en construction
Si certains pays ou grandes entreprises réfléchissent au lancement de leurs propres cryptomonnaies, l’implication des acteurs financiers est plus délicate. Les limites imposées par le manque de compatibilité des « coins » émis par les acteurs bancaires posent un problème majeur. La volatilité des cryptomonnaies est un premier frein, les acteurs préférant des instruments stables et sans risque de crédit intrinsèque. Le salut pourrait alors venir d’initiatives visant à mettre en œuvre des quasi-Central Bank Digital Currencies (CBDC), à l’instar du projet Fnality (ex-Utility Settlement Coin), financé par un groupe d’une douzaine de grands acteurs bancaires.
La nécessité des réglementations et des accords à trouver avec l’ensemble des acteurs financiers et bancaires est souvent évoquée. Cela semble être une condition sine qua non au développement global des cryptomonnaies.
À l’horizon se dessine peut-être déjà une utilisation généralisée d’applications mobiles et sociales où les individus pourront aisément transférer et payer en cryptomonnaies sans soucis de change ou de devises.
En attendant ce scénario futuriste, se pose avant tout la question de la fiabilité des cryptomonnaies. Entre scepticisme et inquiétudes multiples, les monnaies numériques ont encore un long chemin à parcourir avant de s’intégrer pleinement dans le système global financier.
« Libra est l’électrochoc, le catalyseur, qui pourrait déclencher l’apparition de monnaies de banques centrales digitales. Les grandes banques centrales – notamment celles du G7 – étaient restées très prudentes et discrètes à ce sujet jusqu’à présent ; leur réaction, à la suite de l’annonce du Libra, ouvre la possibilité de les voir bientôt s’engager dans cette voie. » Frédéric Dalibard, Responsable du digital à la Banque de grande clientèle de Natixis
Ce qu’il faut savoir :
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