Publié le 26/06/19
Publié le 26/06/19
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Suite au lancement d’une nouvelle monnaie par Facebook, le Libra, de nombreuses interrogations se posent au niveau des avantages et des risques de cette monnaie digitale à fort potentiel.

Jean-François Robin, Responsable de la Recherche Global Markets à Natixis vous livre son analyse à travers ce podcast à écouter.

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Le sujet du jour est le Libra, la nouvelle monnaie lancée par Facebook.

Qu’est-ce que le Libra ? C’est la nouvelle monnaie de Facebook qui va être lancée au 1er semestre 2020 via un consortium d’entreprise. Elle s’appuiera sur les applications telles que Facebook, Messenger ou Whatsapp pour permettre aux utilisateurs d’échanger de la monnaie. C’est un nouveau concurrent au bitcoin, et peut-être un nouveau concurrent aux monnaies traditionnelles également.

Le grand avantage de cette monnaie, qui pourra paraître l’année prochaine, est de s’appuyer sur une infrastructure très large. Il y a 2,4 milliards d’utilisateurs ou en tout cas de comptes actifs à travers Facebook. Mais si l’on ajoute à cela Messenger ou Whatsapp, nous sommes sur des audiences très larges. Non seulement il y a Facebook mais également un consortium qui sera en charge de la gouvernance de cette monnaie à travers une association suisse avec 27 membres comprenant de grandes entreprises tels Mastercard, VISA, etc. Cette monnaie pourrait rapidement prendre de l’importance avec un vrai potentiel par rapport aux autres monnaies.

Elle serait très pratique pour faire des transferts transfrontaliers : grâce à un compte Facebook, un utilisateur pourrait transférer de l’argent à un ami habitant à l’autre bout du monde. Le fait d’échanger cette monnaie peut être aussi vu comme une façon de contourner des monnaies notamment dans certains pays émergents. Par exemple, pour un Vénézuélien dont le pays a connu une inflation de plus de 1 million de pourcent l’année dernière, le fait d’échanger des Libra permettrait d’avoir une monnaie beaucoup plus stable.

Pourquoi cette monnaie est plus stable qu’un bitcoin ? Contrairement à un bitcoin qui est beaucoup plus spéculatif, le Libra se rapproche plus des monnaies traditionnelles car elle s’appuie sur un panier de devises qui correspond au poids des monnaies dans les échanges mondiaux aujourd’hui. Par exemple, un Libra pourrait valoir 60 % du dollar, 20 % de l’euro, 4 % de sterling etc. C’est un avantage car cela serait une monnaie stable et un inconvénient car le Libra serait très proche d’une monnaie d’aujourd’hui.

On pourrait s’échanger beaucoup plus de Libra en secondes là où le bitcoin s’échange en minutes. À la vue des problèmes d’électricité actuels, nous pourrions échanger le Libra au niveau de 1 000 transactions par seconde (versus 7 transactions par seconde avec le bitcoin dont le processus est recalculé et validé par la blockchain). Nous sommes toutefois très loin des milliers de transactions par seconde effectuées sur des monnaies traditionnelles comme l’euro ou le dollar.

De multiples bénéfices sont donc à prendre en compte : des échanges facilités, des protections sur l’inflation pour certains pays émergents, des échanges transfrontaliers qui pourraient être un peu moins chers (de l’ordre de 2% en moyenne).

Encore une fois, cette nouvelle monnaie numérique est une autre pierre jetée dans le jardin du cash. Lorsque l’on considère le nombre d’utilisateurs potentiels, le Libra pourrait accélérer la fin du cash qui peut être vue comme une bonne et une mauvaise nouvelle. Sans doute s’agit-il d’une bonne nouvelle par rapport à la fraude fiscale organisée via des réseaux numériques. Mais nombre d’inconvénients doivent également être évoqués.

1er inconvénient majeur : nous sommes loin d’une monnaie indépendante et libertaire du bitcoin. C’est une monnaie Facebook de surcroît privée avec un consortium de 27 entreprises et une association suisse. Contrairement au bitcoin où il y a un contrôle public et où tout le monde a accès à la chaîne de la blockchain pour recalculer, nous avons là une blockchain privée. C’est un système privé et en dehors de tout contrôle.

Nous donnons déjà à Facebook accès à la liste de nos amis, de nos loisirs. Dans cette situation, nous donnons aussi comme informations ce que l’on achète, combien et à qui. Il faudrait dès lors accepter que Facebook compulse toutes ces données pour proposer demain des services financiers qui pourraient être payants. Facebook se transformerait en banque mais contrairement à une banque traditionnelle, il pourrait tout savoir sur ses utilisateurs et accepter en conséquence ou non une demande de prêt par exemple.

Facebook s’en défend en disant qu’il y a une muraille de Chine entre les applications et Calibra qui sera derrière la blockchain qui gérera le Libra. La prudence reste de rigueur notamment lorsque l’on pense au dernier scandale de Cambridge Analytica. Il reste encore une vraie porosité dans les annonces marketing et publicitaires sur les différents services de Facebook. La protection des données privées est au cœur des débats.

Le Libra qui s’appuie sur un panier de devises amènerait à une privatisation des profits au bénéfice de Facebook. Les utilisateurs du Libra prendraient de leur côté les pertes. Un utilisateur paierait des Libra en donnant de l’argent comme des euros ou des dollars permettant au consortium de Facebook d’aller acheter des obligations européennes ou américaines pour créer un panier de devises. Cela signifie qu’avec les euros ou dollars donnés, le consortium pourra toucher des intérêts sur les obligations qu’ils vont acheter. Cependant, les utilisateurs détenteurs du Libra n’obtiendront zéro intérêt sur le Libra. Si demain, il y a des gains sur les obligations, c’est Facebook et le consortium qui en bénéficieront. En revanche, s’il y a des pertes sur les réserves, le prix du Libra baissera. Les détenteurs du Libra perdront donc de l’argent.

Si nous faisons le calcul, 1,7 milliard de personnes dans le monde ne disposent pas de comptes bancaires. Le Libra s’avèrerait une alternative intéressante pour eux. Imaginons que 10 % de ces 1,7 milliards de personnes mettent un ticket de 50 dollars pour acheter des Libra. Si une centaine d’entreprises gèrent ces échanges, le consortium pourrait en retirer un bénéfice de 100 millions de dollars par an. C’est une entreprise très profitable en ce sens.

 

En résumé

Les avantages

  • C’est une bonne nouvelle pour la promotion des monnaies digitales, annonçant la fin du cash pour limiter les financements illicites.
  • Les personnes n’ayant pas de comptes bancaires pourraient bénéficier du Libra.
  • Les échanges transfrontaliers pourraient être facilités.

Les inconvénients

  • La monnaie du Libra reste privée et hors de contrôle par les instances réglementaires.
  • Facebook doit prouver sa capacité à respecter les données privées des utilisateurs.
  • Si c’est un succès, il va falloir que Facebook se transforme en banque. Les autorités américaines et les banques centrales montent au créneau sur le contrôle de cette monnaie.
  • N’oublions pas que Facebook a une position dominante, il n’est pas anodin qu’ils aient nommé leur monnaie « Libra » à l’instar de celle de l’empire romain.