Publié le 24/09/19
Publié le 24/09/19
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À la suite des attentats perpétrés à l’encontre d’installations pétrolières en Arabie saoudite, ce sont près de 5,7 millions de barils par jour de la production saoudienne qui ont été détruits, soit 58 % du niveau de production déclaré à l’OPEC en septembre. Quels sont les impacts potentiels sur le marché pétrolier ?

Joel Hancock, Analyste sur le Pétrole au sein de l'équipe Matières premières de la Recherche, vous livre son analyse en anglais à travers ce podcast à découvrir.

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Tout d'abord, pourriez-vous nous expliquer plus en détails ce qu'il s'est passé ?

Le samedi 14 septembre, une attaque combinée de missiles et de dronesa ciblé Abqaiq, l'installation de traitement saoudien qui produit 7 millions de barils par jour, ainsi que Khauris, la deuxième exploitation du royaume qui produit environ 1,5 millions de barils par jour. 5,7 millions de barils par jour de la production saoudienne ont été détruits, soit 58 % du niveau de production déclaré à l'OPEC en septembre.

L'attentat sur Abqaiq, considérée comme « le complexe pétrolier le plus important au monde », a sonné un véritable signal d'alarme pour les marchés. D'autres attaques initiées la même année, ayant pour cibles l'oléoduc Yanbu de Saudi et des parcs pétroliers situés au détroit d'Ormuz, avaient déjà portés atteinte aux activités. Ce nouvel attentat, de par son ampleur sans précédent et sa vocation destructrice, ont entraîné une forte augmentation du cours du pétrole dès le lundi, lors de la réouverture des marchés. L'Intercontinental Exchange a signalé un volume record de ces contrats à terme Brent, les prix atteignant des pics journaliers de 20 %, notamment au moment des mois d'échéance, avec des moments où la tendance a connu un mouvement plus limité.

L'intérêt public et la stagnation des prix ont ralenti depuis, en grande partie grâce au travail de fond mené par les relations publiques de Saudi Aramco et du ministère du pétrole, qui ont publié un agenda optimiste quant aux réparations et au retour normal des activités opérationnelles.

Pouvez-vous nous expliquer la quantité de stock de pétrole qui a été retirée du marché, la longueur de cette interruption et les implications que cela porte pour le marché ?

Malgré sa capacité de traitement évalué à 7 millions de barils par jour, le débit du gisement d'Abqaiq était de 4,9 millions de barils par jour au moment de l'attaque, représentant 70 % de sa capacité maximale. Cette marge représentait une part majoritaire du stock de réserve de 2,5 millions de barils par jour de Saudi , fonctionnant essentiellement en qualité de police d'assurance du marché pétrolier. Ainsi, bien que la sous-utilisation de l'installation ait permis une restauration rapide de 2 millions de barils par jour d'Abqaiq, la capacité supplémentaire saoudienne s'est largement épuisée. Combinant les 2 millions de barils par jour d'Abqaiq avec le 0,5-1 million de barils par jour occasionné par la reprise des activités à Khauris, Saudi a pu, en un peu plus d'une semaine, rétablir entre 2,5 et 3 millions de barils par jour de sa capacité initialement perdue.

Une confusion persiste toutefois autour des termes « approvisionnement », « production » et « capacité de production ». Le mot « approvisionnement » désigne le volume de pétrole qu'on fournit aux consommateurs, que ce soit par la production ou via la consommation du stock. Le terme « production » signifie le volume de pétrole transformé. La « capacité de production » indique le temps nécessaire avant que Saudi retrouve ses niveaux de production initiaux.

L'agenda fournit par Aramco lors d'une conférence de presse après l'attentat suggérait que l'approvisionnement des clients ne seraient pas perturbée, et que la production d'avant attentat serait restaurée avant la fin septembre, avec une restitution de la capacité maximale de 12 millions de barils par jour prévue pour fin novembre. Pour combler le fossé et atteindre à nouveau les niveaux de production antérieurs enregistrés en août et sa capacité maximale, les unités endommagées d'Abqaiq devront être remplacées. Malgré cela, le message transmis aux marchés est qu'il n'y aura pas de rupture d'approvisionnement.

L'absence de rupture de stocks, malgré le temps qui sera nécessaire pour atteindre de nouveau les niveaux de production d'avant-crise, témoigne des moyens dont dispose Saudi Aramco pour poursuivre son activité.

  • Saudi peut s'appuyer sur des stocks nationaux et internationaux, bien que des confusions demeurent sur le marché concernant les niveaux des réserves. JODI déclare 188 millions de barils en réserve, alors que le ministère pétrolier saoudien n'en mentionne que 60 millions, un chiffre corroboré par des sources satellites.
  • Saudi Aramco a également réduit le taux de traitement de ses raffineries nationales (auparavant de 2,55 millions de barils par jour) par 1-1,5 million de barils par jour, une tendance qui devrait rester dans la place, vu que Saudi désire poursuivre l'approvisionnement de ses clients en priorité.
  • Saudi dispose aussi d'une capacité supplémentaire de côté et non négligeable (avec 0,5 millions de barils par jour), utilisés en sous-capacité dans le cadre de ses engagements envers l'OPEC.
  • Ces complexes pétroliers (Manifa et Safaniyah) produisent du pétrole brut lourd, qui n'a pas besoin d'être traité par l'installation d'Abqaiq.
  • Étant donné l'interruption à Abqaiq (qui transforme le brut léger), des types de pétroles alternatifs ont été fournis aux clients. Par exemple, certains clients se sont vu offrir de l'Arab lourd et de l'Arab moyen, au lieu de l'Arab léger qu'ils achètent habituellement.

 

Selon l'agenda d'Aramco, le marché doit se préparer à deux semaines d'interruption uniquement. Si tel est le cas, le marché est relativement bien paré.
En effet, le message clé souligné par toutes les communications de Saudi, est qu'ils peuvent gérer l'interruption en interne. Ils estiment ne pas avoir besoin de recourir à la capacité supplémentaire du Koweït, des Émirats Arabes Unis ou de la Russie. Ou également à entamer des stocks stratégiques pouvant provenir de la réserve stratégique de pétrole (RSP), des États-Unis ou de celles des Émirats Arabes Unis.
Les sceptiques sont nombreux au sein du marché pétrolier, surtout après que l'on ait autorisé des journalistes à visiter les installations les jours suivant l'attaque. Ils ont ainsi révélé que certaines parties du complexe d'Abqaiq étaient encore pris par des incendies. Cela a été conforté par les rapports des entrepreneurs, qui estiment que cela pourrait prendre jusqu'à 8 mois avant que l'installation puisse à nouveau retrouver son niveau maximal de capacité, contredisant ainsi les déclarations officielles de Saudi.

En effet, Saudi a plusieurs bonnes raisons de dresser un tableau plus optimiste :

  1. Si on encourage les membres de l'OPEC à augmenter leurs taux de production, il pourrait être difficile de les réduire à nouveau.
  2. Saudi va vouloir protéger sa réputation en tant que fournisseur fiable.
  3. Il est peu probable que Saudi se réjouirait d'une ouverture des vannes stratégiques de la RSP américaine.

Si l'interruption dépasse les attentes initiales de Saudi Aramco, on pourrait affirmer que le Brent est actuellement sous-évalué.

Par rapport à cette attaque et les conséquences qu'elle a engendrées, deux facteurs sont à prendre en compte.

  • Premièrement le risque géopolitique est élevé, à cause de l'épuisement de la capacité de stock supplémentaire saoudienne qui pourrait s'étendre jusqu'en novembre, a minima.
  • Deuxièmement, nous devons minimiser l'impact sur les prix d'une coupure d'alimentation. Si le scénario de base de Saudi est à croire, l'impact sur les prix devrait être assez limité, puisque le problème restera interne.

Le marché s'est calmé. L'intérêt en cours s'est stabilisé et le prix du brut a augmenté légèrement, reflétant une prime de risque plus élevée. Il est à prévoir que les prix se stabiliseront à ces niveaux, si le calendrier de Saudi s'avère légitime. Il existe toujours un assez fort potentiel de la volatilité du marché pétrolier, à moins que Saudi n'ait fourni des estimations un peu trop optimistes concernant la remise en route des approvisionnements. Ou également, si une escalade de tensions régionales venait à se produire.

 

Ce qu'il faut savoir

  • Toute augmentation majeure des prix pourrait être ressentie sur les produits pétroliers avant même de bousculer les prix fixes, étant donné la réduction du débit des exploitations de Saudi. Wood Mackenzie estime que, d'ici la fin 2019, le débit du gisement des raffineries se stabilisera aux niveaux de la première moitié de 2019 (soit 2.5 millions de barils par jour), ce qui voudrait dire que Saudi devra importer plus pour répondre à ses besoins domestiques et à ses engagements d'exportation. Des cours resteraient volatiles pendant que les besoins d'importation de Saudi fluctueraient.
  • Une flambée des prix serait un frein pour la croissance économique, surtout envers les économies de marché émergentes, qui ont déjà du mal à se débrouiller face à l'appréciation du dollar.
  • Bien que la plupart des producteurs américains soient entièrement couverts pour l'année 2019 et malgré l'effet assez limité des impacts de l'attaque sur les cours, les taux des prix seront certainement à la baisse vis-à-vis de l'augmentation des volumes de production.