Comment répondre aux enjeux de l’urgence climatique et des engagements économiques, industriels et sociaux ? Tel était le thème de la Matinale de Natixis Interépargne, webinaire organisé le 21 octobre 2021 autour d’experts reconnus : Patrick Artus, conseiller économique de Natixis, Thomas-Olivier Léautier, directeur Université Groupe du Management et chef économiste chez EDF, Geneviève Férone Creuzet, associée et co-fondatrice de Prophil, et Hervé Guez, directeur gestion actions et taux chez Mirova. Découvrez les enseignements clés et le replay intégral de cette conférence.
L’urgence climatique : comment décarboner les énergies ?
Le 6e rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), paru en août dernier, annonce que le réchauffement climatique progresse plus rapidement que prévu : la température mondiale devrait augmenter de 1,5°C dès 2030, soit dix ans plus tôt que lors de la précédente prévision. L’urgence climatique est donc une réalité que personne ne peut ignorer. Le sujet sera au cœur des échanges de la COP26 qui se tient actuellement à Glasgow. Face à l’urgence environnementale, la nécessité de décarboner l’économie et plus particulièrement le secteur de l’énergie se fait pressante.
Selon Thomas-Olivier Léautier, chef économiste chez EDF, cette transition se fera en deux temps : « tout d’abord, il s’agit de réduire notre consommation puis d’électrifier l’ensemble de nos usages. ».D’ici à 2050, les besoins en énergies vont être multipliés par trois, ce qui représentera un coût très important pour les États. En effet, selon le FMI (Fonds Monétaire International) et l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie), l’atteinte de zéro émission nette de carbone nécessitera des investissements mondiaux supplémentaires de l’ordre de 0,6 % à 1 % du PIB mondial annuel au cours des deux prochaines décennies, soit un montant cumulé de 12 000 à 20 000 milliards de dollars, et une réorientation des flux financiers vers les énergies à faible intensité carbone.
En parallèle, les énergies fossiles vont devenir plus chères car l’ensemble des producteurs pétroliers vont peu à peu réduire leurs investissements d’ici à 2050. La rareté de l’offre entraînera indubitablement une hausse des prix. « Une bonne chose pour la planète mais un poids supplémentaire dans les bourses des particuliers », commente Patrick Artus, conseiller économique de Natixis. Selon lui, un accompagnement des ménages les plus modestes sera indispensable dans ce cas de figure, où les investissements à long terme seront moins rentables. C’est pourtant le prix à payer pour valoriser les énergies décarbonées et renouvelables comme l’hydrogène, qui requièrent de nombreux investissements pour assurer leur production, leur stockage et leur distribution.
Les modèles de la finance bousculés : vers une valeur du bien-être ?
La décarbonisation de l’économie préfigure donc une perte de capital : le PIB des États risque à terme d’être mis à mal. La cause principale sera l’investissement nécessaire dans des énergies dites vertes qui ne seront pas aussi rentables que les énergies carbonées. Le modèle traditionnel de la finance se voit donc chahuté par de nouvelles contraintes et externalités financières plus durables et responsables comme les critères ESG : environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance.
« Il y a une forme de réticence de la part des professionnels pour se former à cette nouvelle façon de concevoir la finance. Jusqu’à présent, l’impact était guidé par la performance. C’est une mémoire de forme héritée de décennies rendement/risque des milieux financiers », analyse Geneviève Férone Creuzet, associée et co-fondatrice de Prophil. Pour lever ce frein culturel, une sensibilisation des entreprises, des investisseurs mais également des particuliers est indispensable : « la pression vient tout autant par le bas chez les épargnants que par le haut avec les États et les régulateurs », ajoute Hervé Guez, directeur gestion action et taux chez Mirova. Cette démarche responsable demande plus de transparence dans les choix d’investissements verts, un moteur de confiance des citoyens dans les directives des États et plus particulièrement une qualité et une finesse dans les data ESG pour justifier l’impact des investissements. « C’est un sujet primordial : quand les données ESG arrivent chez les gestionnaires, l’apport des data est très inégal selon les pays à cause des biais culturels. Le critère de la gouvernance joue alors un rôle de premier choix pour changer les mentalités. N’oublions pas que nous touchons ici au facteur le plus difficile à appréhender : celui de l’humain », souligne Geneviève Férone Creuzet.
La finance se met au diapason de l’urgence climatique mais doit accélérer son rythme. Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à définir leur raison d’être et à travailler sur leur mission pour gérer plus étroitement leur impact social, aligner leurs ressources et partager des valeurs durables. « Les investissements du futur ne seront plus uniquement mesurés en termes de PIB ou de rendement mais en fonction de facteurs d’externalités : on entre dans une nouvelle ère économique du bien-être », déclare Patrick Artus.
L’épargne salariale et retraite : un accélérateur au service de la transition
L’épargne salariale et retraite a également un rôle important à jouer dans la transition avec l’orientation durable et responsable des investissements : une opportunité pour les entreprises et leurs collaborateurs soucieux des enjeux climatiques. En effet, l’épargne salariale est une passerelle pour le citoyen consommateur qui peut participer au partage de la valeur. C’est un vecteur de cohésion et d’adhésion, voire un impératif : l’épargne salariale et retraite qui n’introduirait pas de critères ESG dans sa stratégie serait mise à l’écart. Une conviction partagée par Christophe Eglizeau, directeur général de Natixis Interépargne : « L'épargne d’entreprise a un rôle important à jouer dans les transformations que les entreprises doivent réaliser pour répondre à l'urgence climatique. »
Pour cela, plus d’informations et de transparence sont requises, car les entreprises sont en retard sur ce sujet par rapport aux investisseurs institutionnels et aux fonds de pension. « C’est un cadre d’engagement et d’attractivité sociale si les DRH s’emparent du sujet et déclinent la raison d’être dans leur dispositif de participation et d’intéressement », complète Hervé Guez, directeur gestion action et taux chez Mirova.
En cela, la nouvelle réglementation européenne SFDR est un levier puissant pour obliger les gérants d’actifs à proposer une offre plus vertueuse incluant des enjeux de durabilité et de développement durable et ainsi accélérer le financement de la transition énergétique. L’investissement public et l’épargne sont donc des vecteurs économiques à part entière qui devront contribuer à financer la transition énergétique.