Publié le 08/06/18
Publié le 08/06/18
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Dans un environnement en perpétuelle évolution, Natixis a fait le choix résolu de l’agilité et de la transformation pour sans cesse se réinventer.

L’essor du « coworking », du « flex office » et du nomadisme impliquent de repenser nos espaces de travail en espaces plus ouverts et collaboratifs. Les bureaux se transforment et s’adaptent aux nouveaux usages et nouveaux modes de travail, avec des équipes, plus mobiles, plus autonomes, dans une organisation plus horizontale.

Natixis a lancé en 2016 un programme ambitieux de transformation concernant toute l’entreprise : investissement dans le digital, amélioration de nos processus, simplification de nos organisations et nouveaux espaces de travail destinés à poursuivre notre développement au service de nos clients.

Symbole de la transformation à l’œuvre dans notre entreprise, les tours Duo accueilleront en 2021 Natixis qui sera la seule entreprise à investir les lieux.

L’architecte et concepteur des tours Duo Jean Nouvel, décrypte ce projet architectural innovant au service de l’intelligence collective et de la qualité de vie au travail et nous livre sa vision de l’architecture et de la ville d’aujourd’hui.

 

« Commençons… par le commencement ! Votre père était géographe et vous dites vous-même que cela vous a marqué… De quelle façon ?

ILL 2Jean Nouvel – Un géographe, c’est quelqu’un qui a conscience du monde, qui s’intéresse à l’endroit où il est, aux raisons d’un climat, d’un relief, d’une géographie humaine aussi – pourquoi les gens sont ici plutôt qu’ailleurs – un ensemble de paramètres qui sont souvent oubliés dans le domaine de l’architecture. La transition d’un bâtiment avec le sol par exemple est une chose vitale : je regrette de ne pas avoir entendu parler de toponymie aux Beaux-Arts ! Alors, oui effectivement, mon approche architecturale prend en compte la géographie et l’histoire. Ce n’est malheureusement pas le cas de la plupart des bâtiments clonés dans le monde global d’aujourd’hui.

 

On vous considère comme le père de l’architecture contextuelle… Vous pourriez nous expliquer ce que l’on entend par là ?

J.N. – La contextualité, c’est prendre en compte l’histoire et la géographie, c’est faire en sorte qu’un bâtiment ait conscience de l’endroit où il est. C’est aussi avant tout la défense d’une architecture de situation. Le contexte est aussi culturel et humain (il est lié aux personnes pour lesquelles on va construire, qui ont des besoins et des désirs – les désirs sont aussi importants que les besoins -, à leur personnalité) : il s’agit de prendre en compte tous ces paramètres humains liés à un art de construire qui existe déjà en fonction de la culture locale… Toutes ces données conduisent à un bâtiment particulier, idiosyncratique. Je dis toujours que je ferai deux fois le même projet le jour où la même personne me posera deux fois la même question à la même heure, mais sinon je n’ai aucune raison de le faire.

Justement, y a-t-il un fil conducteur qui relie tous vos projets architecturaux ?

J.N. – Non. Il n’y a aucun fil conducteur entre le Louvre d’Abou Dabi et H&M sur les Champs-Elysées. Ou alors, le fil conducteur c’est moi ! Le seul point commun entre tous les projets que vous citez, c’est une attitude intellectuelle, un point de vue philosophique sur ce qu’est la ville, c’est tout.

 

Même si vous refusez l’idée d’un style Jean Nouvel, vos bâtiments n’ont-ils pas tous en commun la transparence et le jeu de lumière ?

J.N. – Ça, c’est du vocabulaire architectural. Je n’ai aucun a priori, je peux utiliser n’importe quel matériau, jouer sur la masse, sur la transparence… Je suis comme un auteur qui utilise le vocabulaire à sa disposition pour dire ce qu’il veut dire.

Cette notion de contexte est donc parfois mal comprise selon vous…

J.N. – Oui, beaucoup de gens pensent que pour vous intégrer, vous allez pasticher… C’est le contraire. Je répète depuis des années que ce que je recherche, c’est répondre à cette question : « qu’est-ce qu’on peut faire ici et maintenant et qu’on ne pouvait pas faire ailleurs ? » C’est ce que j’appelle la pièce manquante du puzzle, celle qu’on a envie de voir là et qu’on n’arrive pas à trouver. La contextualité, c’est ça. Il n’y a pas d’architecture vraie qui ne soit sentimentale ! L’architecture est un don, un don au sens de cadeau… Les architectes sont comme les grands chefs, qui veulent faire plaisir à ceux qui sont à leur table. Ils ne sont pas là pour contredire ou arriver avec des idées préconçues.

tours-duosPrenons le cas pratique des tours Duo, comment vous êtes-vous servi du contexte quand vous les avez conceptualisées ?

J.N – Sur le plan urbain, il a fallu d’abord prendre en compte le caractère exceptionnel des tours de grande hauteur – 180 m – à Paris. Ensuite, évidemment, il a fallu composer avec tout ce qui a précédé. A l’entrée de la porte d’Ivry, il y a une vingtaine de voies ferrées qui vont vers la gare d’Austerlitz et qui sont enjambées par un pont haubané… C’est le paysage cinétique de toute beauté que l’on apercevra depuis les tours Duo. La nuit, c’est très poétique, ces trains qui glissent, comme des perles de lumières, sous les voitures avec leurs phares allumés. C’est une forme d’archéologie ferroviaire aussi car dans quelques décennies, ce périphérique rempli de poussière et de bruit sera silencieux et propre : les voitures et les trains ne cessent de changer… Je voulais témoigner de ce spectacle-là, c’est pourquoi j’ai conçu la tour principale (qui est plus inclinée que la tour de Pise !) de façon à ce qu’elle reflète le mouvement des trains et des voitures qui se croisent. Enfin, elle lève la tête, pour être fière. Duo, c’est l’allégorie de deux bâtiments heureux de se rencontrer qui se penchent l’un vers l’autre.

On sait que les Français sont un peu traumatisés par les dalles désertes au pied des grandes tours élevées dans les années 60, comment peut-on éviter cet écueil, d’après vous ?

J.N. – Il faut une raison vraiment exceptionnelle pour arriver à créer un sol artificiel. Malheureusement dans les années 70, on ne pensait pas cela. On croyait qu’il fallait mettre un maximum de voitures en dessous pour les cacher. Le XXe siècle a voulu nous faire croire que l’urbanisme existait mais ce n’est pas le cas. L’urbanisme, c’est juste de l’architecture à grande échelle. L’urbanisme fait partie des –isme qui ont mal vieilli. Fonder la forme d’une ville sur des décisions de zoning, d’intégration des principaux paramètres fonctionnels sans avoir une idée esthétique, philosophique et géographique du lieu, c’est une somptueuse bêtise répétée dans le monde entier !

Vos tours de bureaux sont souvent des espaces mixtes, où cohabitent des espaces de travail, des hôtels, des commerces… C’est important pour vous ?

J.N. – Oui, je suis évidemment pour la mixité. L’urbanisme du XXe siècle, fondé sur le zoning, a fait beaucoup de mal ! A l’époque, on se contentait de juxtaposer sans passerelle l’urbanisme de la zone commerciale, de la zone industrielle, de la zone pavillonnaire ou encore de l’habitat social… Il faut revenir à une plus grande liberté dans l’affectation de ce qui est construit et de ce qui va se construire. A chaque fois qu’on peut créer de la mixité, il faut le faire. C’est le cas des tours Duo dont l’environnement mixe déjà du commerce, des bureaux, des logements, un hôtel et des activités…

On parle beaucoup d’environnement de travail « collaboratif et convivial » comme élément de bienêtre et levier de performance… Quelle est votre réflexion sur ce sujet ?

J.N. – J’ai eu l’occasion d’y réfléchir puisqu’il y a 4-5 ans, la foire de Milan m’a demandé de créer une grande exposition sur le futur du bureau. Il en reste quelques meubles qui occupent mes ateliers. Ils sont un peu provocants et prouvent qu’on n’est pas obligé de fonder l’aménagement toujours sur le même bureau, sur les mêmes techniques répétées et sur l’hypertrophie des paramètres fonctionnels. Autant de choses qui obligent souvent les êtres humains à se comporter de la même façon. Le futur se trouve dans la variation des espaces de bureau eux-mêmes, qui sont habités au même titre qu’une maison. On passe plus de temps au bureau que chez soi ! C’est important d’en tenir compte. Quand on conçoit du mobilier, on doit pouvoir offrir à chacun la possibilité d’organiser des modules simples comme il le souhaite.

Pour finir, vous aviez une anecdote à nous raconter qui concerne – indirectement – Natixis…

J.N. – Le nom des tours Duo est né de ces références parisiennes à l’art de la danse. C’était dans mes ateliers… J’expliquais que les deux bâtiments étaient en mouvement et ma cliente y a vu un couple parisien et s’est écriée « on dirait Maurice Chevalier avec sa casquette qui danse avec Mistinguett ! »

 

JEAN NOUVEL en 10 dates

  • 1945 - Naissance à Fumel dans le Lot-et-Garonne.
  • 1976 -  Co-fondateur du mouvement « Mars 1976 » qui s’oppose à la « Charte d’Athènes » pensée par Le Corbusier.
  • 1981 – Lauréat du concours pour l’Institut du Monde Arabe, premier des grands projets présidentiels initiés par François Mitterrand.
  • 2000 – Inauguration du Centre de Culture et de Congrès de Lucerne en Suisse.
  • 2006 – Inauguration du Musée du quai Branly.
  • 2008 – Lauréat du Prix Pritzker, considéré comme le prix Nobel de l’architecture.
  • 2009 – Inauguration de la salle symphonique de la Radio danoise à Copenhague.
  • 2015 – Inauguration de la Philharmonie de Paris.
  • 2017 – Ouverture du Louvre Abou Dhabi
  • 2018 – Inauguration de la tour de bureaux La Marseillaise, sur le port de Marseille.