#Amériques #Asie Pacifique #Business #Transition Verte
Publié le 30/04/21
Lecture 10 Min.
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#Amériques #Asie Pacifique #Business #Transition Verte

Les enjeux liés au changement climatique et au développement des énergies vertes sont de plus en sensibles et urgents pour la planète. Conformément à la promesse faite par Joe Biden avant son investiture à la Maison Blanche, le 19 février 2021, les États-Unis ont officiellement réintégré l’Accord de Paris sur le Climat qui vise à limiter sous les 2°C l’augmentation de la température moyenne sur Terre, provoquée par l’activité humaine. Ce retour dans le giron des 189 autres pays à avoir ratifié ce traité scellé en 2015, permettra-t-il d’influer durablement sur ces enjeux majeurs et d’accélérer les mutations déjà engagées par la Chine, toujours premier pollueur mondial juste devant les États-Unis, mais qui affiche des objectifs ambitieux ?

Depuis Hong Kong et New York, Alicia García-Herrero et Joseph Lavorgna, respectivement chefs économistes des régions Asie-Pacifique et Amériques chez Natixis, offrent un éclairage original, révélateur des enjeux majeurs d’une coopération à construire entre les deux premières puissances mondiales et les autres pays.

 

ENTRETIEN AVEC ALICIA GARCÍA-HERRERO

Premier producteur d’énergie verte, la Chine veut être leader dans la lutte pour le changement climatique. 

ALICIA<BR>GARCíA-HERRERO

ALICIA
GARCíA-HERRERO

Économiste en chef pour l’Asie-Pacifique chez Natixis

Économiste en chef pour l’Asie-Pacifique chez Natixis, Alicia García-Herrero est actuellement professeur à l’Université des sciences et technologies de Hong Kong et conseillère auprès de la branche de recherche de l’Autorité monétaire de Hong Kong (HKIMR) et de la Banque asiatique de développement. Depuis son bureau de Hong Kong, elle nous livre aujourd’hui son analyse de la Chine et sa vision de l’économie verte.

Comment la Chine vise-t-elle la neutralité carbone ? Peut-elle l’atteindre ?

Le 22 septembre 2020, le président Xi Jinping a surpris l’Assemblée générale des Nations Unies en annonçant que la Chine se fixait un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2060. Cela peut sembler lointain si l’on compare cet objectif à ceux de l’Europe et des États-Unis qui visent 2050. Toutefois, il faut être réaliste, et l’objectif de neutralité carbone à horizon 2060 est difficilement atteignable. La Chine est un acteur majeur de la lutte contre le réchauffement climatique mais elle a un énorme défi à relever. Elle reste le principal émetteur de CO2 et l’on constate même une augmentation des émissions de carbone. En résumé, les Chinois font de leur mieux mais il est extrêmement difficile pour un si grand pays d’accélérer sa transition énergétique. Comme vous le savez, la Chine, deuxième économie mondiale, est aussi le plus gros pollueur et le premier émetteur de CO2. C’est aussi un grand utilisateur et exportateur d’énergie verte. Le mix énergétique de la Chine est majoritairement dépendant du charbon (62 %) et du pétrole (20 %), l’hydroélectricité et le gaz ne comptant que pour moins de 20 %. La Chine essaie de renoncer à cette dépendance et les objectifs à court terme du plan quinquennal de neutralité carbone sont un autre signe encourageant. Elle s’engage en effet dans ce plan à atteindre un pic de ses rejets de CO2 avant 2030 et non plus autour de 2030, ce qui peut être lu comme un signal de reconnaissance de l’Accord de Paris sur le climat.

 
Comment la Chine gère-t-elle les énergies ?

La Chine est un grand exportateur d’énergie nucléaire. Aujourd’hui, elle contrôle toute la chaîne de production d’une centrale nucléaire. Elle exporte sa technologie nucléaire dans le monde entier, notamment au Pakistan, en Roumanie, et même vers la Russie. Le gouvernement chinois a approuvé récemment la construction de cinq nouveaux réacteurs nucléaires d’une capacité de 4,9 gigawatts, soit près de 10 % de la capacité nucléaire totale du pays, ce qui pourrait porter la capacité nucléaire totale du pays à 200GW d’ici 2035. Pour l’énergie verte, qui apporte de nombreux avantages compétitifs, la Chine se doit d’être exportateur. De ce fait, elle ne les utilise pas suffisamment pour sa propre consommation. À travers sa politique volontariste, le gouvernement central encourage la création d’infrastructures mais la demande ne suit pas à l’intérieur du pays, car l’énergie produite par l’énergie solaire et éolienne est encore jugée trop chère.

 

Les énergies vertes sont-elles intégrées aux nouvelles « routes commerciales de la soie » ?

Oui absolument. La Chine pense qu’elle devrait tout faire mieux que le reste du monde. La première raison est qu’elle doit offrir un revenu à toute sa population. L’autre raison : elle ne veut pas être dépendante des importations. Elle veut être un leader en tout. Elle produit déjà la plupart des batteries ion-lithium, des panneaux solaires et des éoliennes dans le monde, elle est le pays où la part de marché des véhicules électriques est la plus importante. Elle veut contrôler la concurrence dans tous les domaines, qu’il s’agisse du riz, du soja ou des hautes technologies. Sur le green, la Chine veut être très active en termes de conservation de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique. La Chine exporte partout de l’énergie photovoltaïque, notamment vers l’Europe car ses prix sont les plus compétitifs. L’exportation de l’énergie en direction de la Russie et de l’Europe constitue l’un des axes majeurs des « routes de la soie ».

 
Les Chinois sont-ils conscients de ces enjeux autour du changement climatique ?

Les mentalités évoluent. Pour les Chinois, le changement climatique n’est pas la seule priorité. Ils s’inquiètent aussi pour leurs revenus, leur santé, leur sécurité, pour eux-mêmes… Mais les changements peuvent arriver très rapidement, peut-être pas du fait des consommateurs, mais par la volonté du gouvernement. Le président Xi Jinping évoque fréquemment « la civilisation écologique » et demande aux dirigeants locaux d’en faire un enjeu. Pour lui, cela signifie que la Chine doit prendre le leadership international sur ces questions environnementales, à travers notamment les industries innovantes. Pour réussir cela, la Chine a besoin du reste du monde, et aussi des États-Unis. Les gagnants ne doivent pas rester isolés. Elle vient d’affirmer à nouveau ses liens avec la France et l’Allemagne en vue de la préparation de la prochaine Cop 26 prévue à Glasgow (Ecosse) en 2021.  Pour l’environnement, les enjeux sont planétaires, tous les pays doivent travailler de concert. Si la Chine conduit sa transition de manière positive et sait coopérer avec le reste du monde, alors elle deviendra la meilleure.

ENTRETIEN AVEC JOSEPH LAVORGNA

 L’énergie nucléaire pourrait jouer un rôle important dans le développement des énergies décarbonées. 

JOSEPH<BR>LAVORGNA

JOSEPH
LAVORGNA

Chef économiste pour les Amériques – Natixis

Joseph Lavorgna est un expert reconnu en macroéconomie aux États-Unis. Depuis son bureau de New York, il dirige la recherche économique de la plateforme Amériques et promeut la recherche cross assets (taux, crédit, change, matières premières et actions) de Natixis. Aujourd’hui, il analyse pour nous les atouts des États-Unis dans le développement de l’économie verte alors que, à la suite de l’élection du président Joe Biden, les États-Unis ont réintégré l’Accord de Paris.

Comment la conscience verte se développe-t-elle aux États-Unis ?

L’énergie est comme vous le savez, est un secteur stratégique de l’économie. Nous avons besoin d’énergie pour chauffer nos maisons et nos bureaux, pour faire rouler nos véhicules individuels et transports en commun, pour assurer la sécurité nationale, pour assurer une source d’énergie indépendante fiable. Aux États-Unis, les politiques sont encore très divisés. Mais, par-delà ces divisions, les deux principaux partis ont trouvé un terrain d’entente, afin de mettre en place des sources d’énergie verte. Même s’ils n’utilisent pas les mêmes mots, les intentions sont les mêmes. Le Parti démocrate s’engage en évoquant les technologies vertes et de changement climatique, et le Parti républicain parle de combustion plus propre et de sources d’énergie fiables, efficaces et peu coûteuses, telles que l’énergie nucléaire.

 

L’énergie nucléaire représente-t-elle déjà une part importante du mix énergétique des États-Unis ?

Les combustibles fossiles dominent toujours bien sûr le mix énergétique des Etats-Unis. Leur part dans la production d’électricité atteint 62 % en 2019, dont 24 % pour le charbon et 38 % pour le gaz. À ce jour, l’énergie nucléaire représente moins de 20 % du mix énergétique et les énergies renouvelables 18 %. L’administration Trump a cherché à développer le nucléaire qui présente peu d’externalités négatives associées à l’émission de CO2. Le président Joe Biden et le parti démocrate ont aussi pris une position historique en affirmant leur soutien au nucléaire lors de la convention démocrate qui s’est tenue à Wilmington le 28 août 2020. L’énergie nucléaire pourrait jouer un rôle important dans le développement des énergies décarbonées. Aux États-Unis, nous sommes de plus en plus nombreux à croire que cette source est très fiable.

 

Les Américains sont-ils vraiment sensibilisés aux enjeux du changement climatique ?

Les États-Unis vont forcément connaître une période de transition. Les États fortement dépendants des combustibles fossiles ne vont pas adopter 100 % d’énergie éolienne et solaire du jour au lendemain. La prise de conscience varie selon les États. L’urgence climatique est par exemple prégnante en Californie. Depuis les années 80, les incendies se multiplient, des brouillards, des fumées empêchent la population d’utiliser les panneaux solaires posés sur leurs toits. L’État est très engagé dans la lutte contre le changement climatique, et mène, par exemple, une politique très stricte pour restreindre les véhicules à essence. Inversement, les États producteurs de pétrole et de gaz, ou encore de maïs - qui permet de produire de l’éthanol, ne se préoccupent pas de mettre en place une politique incitative en faveur des énergies vertes. Les États-Unis, ce sont 50 États. Différentes régions, origines, cultures. Il est très difficile de mettre tout le monde sur la même longueur d’ondes, et c’est la raison pour laquelle, si vous voulez vraiment faire avancer les choses, il faut adapter vos propositions aux spécificités de chaque État. Le gouvernement peut proposer des mesures incitatives, mais la sensibilité dépend beaucoup de l’endroit où vous habitez.

 

Qu’en est-il du parc éolien aux États-Unis ?

L’éolien n’est pas une source d’énergie très fiable aux États-Unis car les vents sont, d’une manière générale, variables et faibles.  De surcroît, beaucoup d’Américains refusent d’avoir un parc éolien près de chez eux, ils jugent ces fermes trop imposantes, bruyantes, difficiles à recycler. Les vents sont plus puissants dans l’océan, ce qui pourrait inciter le développement de projets éoliens offshore. Pour cela, les technologies, relativement récentes, doivent encore gagner en fiabilité et devenir moins coûteuses.

 

Les États-Unis peuvent-ils devenir un acteur majeur du développement durable dans les prochaines années ?

Les États-Unis comptent de nombreuses entreprises capables de développer les technologies dites « vertes » ou « propres », ce qui les place en bonne position pour devenir l’un des grands producteurs mondiaux. Cela sera en partie initié par la politique du gouvernement. Il faut pour cela que les deux grands partis trouvent des compromis. Il faudrait aussi que le gouvernement incite les industriels à adopter des normes plus propres, plus efficaces pour développer l’utilisation des LED, par exemple. Ces éclairages sont fantastiques, et très durables. L’éthanol produit à partir de maïs est une autre piste très intéressante, tout particulièrement pour les États qui produisent beaucoup de maïs. Les États-Unis sont un très grand pays ; il n’y a donc pas seulement une, mais beaucoup de technologies que nous pouvons déployer.

Depuis le One Planet Summit à Paris, comment les relations entre les États-Unis et l’Europe évoluent-elles ?

Les États-Unis et l’Europe sont, plus qu’on ne le pense, sur la même longueur d’ondes en matière de préservation de l’environnement. Leurs intentions sont similaires. La clé consiste à trouver une source d’énergie fiable et peu coûteuse. La limitation des externalités négatives constitue un axe fort d’amélioration de la performance des entreprises. Je suis convaincu que les deux partis trouveront un terrain d’entente, certainement autour de la filière nucléaire. Le problème, c’est la période de transition. Quoi qu’il en soit, au bon moment, ces nouvelles technologies remplaceront les anciennes et créeront des opportunités et de nouveaux emplois.

 

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