Les produits d’épargne ISR et solidaires ont le vent en poupe. Longtemps considérés comme la bonne conscience de la finance, ces placements qui soutiennent des opérations d’utilité sociale ou environnementale se développent depuis les années 1990. Ils trouvent aujourd’hui un nouvel écho particulièrement favorable alors que l’économie traditionnelle subit de plein fouet les effets de la crise sanitaire. Mieux, les rendements sont au rendez-vous. Karen Charbonnel, directrice du développement corporate de Natixis Interépargne*, et Fabien Leonhardt, senior fund manager chez Mirova, qui gère le fonds commun de placement Insertion Emplois Dynamique, plaident pour une éducation active des salariés, au service de la création d’emplois en France et au plus près des épargnants.
* Natixis Interépargne, la référence en épargne salariale et retraite du Groupe BPCE, s’engage auprès de 75 000 entreprises clientes et 3 millions d’épargnants.
À quels besoins essentiels les fonds ISR et l’épargne solidaire répondent-ils ?
Fabien Leonhardt : Dès 1972, dans le rapport Meadows, les chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) développaient déjà l’idée de l’empreinte écologique et montraient que la Terre avait des ressources limitées. À l’époque, l’Humanité consommait 0,7 planète par an. Aujourd’hui, ce chiffre s’élève à 1,7 ; ce qui n’est pas soutenable. Depuis le lancement de Mirova, Philippe Zaouati, son directeur général avait l’intuition que l’investissement responsable allait devenir incontournable. Natixis nous a donné la liberté de créer des fonds qui poussaient loin la logique de recherche d’impact, et nous avons prouvé que l’on peut concilier performance, exigence et accompagnement des investisseurs.
L’épargne salariale est à ce jour le premier investisseur de l’épargne solidaire
Karen Charbonnel, Natixis Interépargne
Comment l’épargne salariale peut-elle favoriser le développement de l’épargne solidaire et ISR ?
Karen Charbonnel : L’épargne salariale en France est à ce jour le premier investisseur de l’épargne solidaire. Depuis la loi Fillon qui oblige les entreprises à proposer au moins un fonds solidaire dans leur plan d’épargne, son succès ne se dément pas. Les salariés commencent souvent à investir dans l’épargne solidaire grâce à leurs entreprises qui mettent en place des fonds ISR dans leurs dispositifs. Le cadre suscite la confiance et le rendement est là. Chez Mirova, les entreprises sont notées de 1 à 5 (engagé, positif, neutre, risqué ou négatif) et nous ne prenons en portefeuilles que les mieux placées, très majoritairement positives et engagées. Bien évidemment, nous proposons à nos entreprises clientes comme à nos épargnants, des comptes rendus (reportings) ISR extra-financiers mensuels. Celui qui choisit l’ISR est un investisseur éclairé, qui a bien compris toute l’utilité de cette démarche. Il est logique de lui montrer nos engagements.
Quelle est la particularité du fond Insertion Emplois Dynamique de Mirova ?
Fabien Leonhardt : Notre fonds Insertion Emplois Dynamique (IED) existe depuis vingt-cinq ans et il est structuré en deux parties. La poche cotée (90 %) investit dans des entreprises cotées – grands groupes français dont les effectifs progressent ou restent stables, grands groupes étrangers qui ont une stratégie de développement en France, PME en croissance significative –. Ces entreprises sont sélectionnées pour leur adéquation à nos exigences extra-financières et pour leurs perspectives, selon l’analyse de Mirova, de création d’emplois en France sur les trois prochaines années. IED bénéficie du triple label CIES / ISR / Finansol, et vient de recevoir le nouveau label Relance, agréé par Bercy. Son encours s’élève à 850 millions d’euros à fin octobre 2020, ce qui en fait le plus gros du marché. Notre conviction initiale, c’est que la performance emploi est positivement en corrélation avec la performance financière d’une entreprise ! C’est démontré dans notre rapport d’impact (le dernier a été publié en octobre 2020) : les entreprises cotées les plus dynamiques en termes de création d’emploi en France sont celles qui ont le plus contribué à la performance financière du fonds sur les 3 et 5 dernières années (période : fin 2014-fin 2019).
Et en parallèle de la poche cotée, 5 à 10 % de l’actif du fonds est dédié au solidaire. Donc 1 million d’euros qui entre dans le fonds, c’est en moyenne 75 000 euros consacrés à des financements solidaires.
Et pour la poche solidaire, quelle est votre stratégie ?
Fabien Leonhardt : La poche solidaire (entre 5 et 10 % de nos avoirs, soit 47,4 millions d’euros) à ce jour finance directement des structures qui peuvent démontrer leur fort impact social (entreprises d’insertion, entreprises adaptées, associations d’utilité publique ou encore ESUS ─, la nouvelle génération des entrepreneurs solidaires). En partenariat avec France Active, le pionnier de la finance solidaire, nous collons au plus près des territoires à travers des pépites comme Simplon (insertion par l’apprentissage des métiers du numérique) ou AfB France (entreprise adaptée, dans laquelle des personnes en situation de handicap réparent, recyclent et revendent du matériel informatique.
Aujourd’hui, il y a une vraie bascule vers les fonds dont l’impact extra-financier est clairement mesurable
Fabien Leonhardt, Mirova.
Quel est le rôle des labels dans l’épargne ISR et solidaire ?
Fabien Leonhardt : Les quatre labels CIES, ISR, Finansol et Relance offrent aux fonds une reconnaissance officielle. Ils permettent d’assurer aux épargnants la mise en œuvre d’une approche sérieuse, documentée et contrôlable. Notre fonds IED (Insertion Emplois Dynamique) affiche ces quatre labels. Pour l’ensemble des entreprises constituant ce fonds, l’impact social est concret pour l’épargnant : on peut compter les salariés, les emplois créés. Nos propositions d’épargne sont solidaires et responsables, et nous sommes convaincus qu’elles sont, sur le long terme, plus performantes car elles s’orientent vers la partie saine de l’économie. Aujourd’hui, alors que tous les fonds non ISR décollectent, il y a une vraie bascule vers les fonds dont l’impact extra-financier est clairement mesurable.
Comment apporter une meilleure visibilité à ces formes d’investissement ?
Fabien Leonhardt : Il faut toujours plus de proximité et de traçabilité. Tous nos outils vont dans ce sens. Dans notre rapport d’impact annuel, nous détaillons notre démarche, faisons le compte des emplois créés. Nous proposons deux cartes interactives (une sur la poche solidaire, l’autre sur la poche actions cotées), qui permettent aux investisseurs d’identifier et de localiser clairement les entreprises que nous soutenons. Cette transparence est un gage de crédibilité.
L’épargne salariale est aussi un véhicule d’éducation essentiel. Sans elle, il n’y aurait pas eu un tel développement de l’épargne ISR et Solidaire. Mirova gère une part importante de l’épargne salariale collectée par Natixis Interépargne. C’est parce que l’épargne salariale s’est approprié cette approche que ce secteur s’est vraiment développé (près de 30 % des actifs de l’épargne salariale y sont investis).
Karen Charbonnel : À ses débuts, l’ISR avait ses détracteurs : avec la gestion financière classique, vous gagniez ; avec l’ISR, vous perdiez. Aujourd’hui, la performance est réelle : les entreprises respectueuses de certains critères sont les plus saines sur le long terme.
Néanmoins, parmi les épargnants souhaitant s’engager dans l’ISR, la plupart ne savent pas quelle démarche effectuer. 65 % d’entre eux accordent une place importante aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placements mais 76 % ignorent les critères de sélection des actions ou des obligations des fonds ISR dans lesquels ils ont investi. L’ISR demeure encore une finance de sachants. Or, pour développer davantage l’ISR et le solidaire, il faut les vulgariser et communiquer plus sur les impacts réels de ces fonds dans l’économie.
Les épargnants ont-ils intérêt à s’orienter vers l’épargne ISR et solidaire ?
Karen Charbonnel : C’est toujours le bon moment pour s’y intéresser ! Avec la multitude et la complexité des régimes, ceux qui préparent leur retraite sont souvent perdus et, par facilité, s’orientent vers des produits liquides et très peu rémunérés comme le livret A, que l’inflation grignote. C’est une catastrophe pour les épargnants et pour les entreprises qui en conséquence ne sont pas financées par cette épargne.
Quand et comment développer son épargne ?
Généralement, les individus commencent à s’intéresser à leur épargne vers 40-45 ans avec la préoccupation de la retraite, synonyme de diminution de revenus. Or, nous devons tous prévoir une épargne de précaution en cas de coup dur.
Dès 25 ans, si c’est possible, il vaut mieux mettre de côté un peu tous les mois que de verser une somme importante une fois par an, cela permet de faciliter la constitution de l’épargne et lisser les évolutions des marchés financiers, confie Karen Charbonnel.
Que souhaitez-vous faire et à quelles échéances ? Changer de résidence principale ? financer la scolarité de vos enfants ? anticiper votre retraite ? Une fois ces questions posées, plus l’échéance est lointaine, plus vous avez intérêt à investir sur des fonds actions, qui sont plus rémunérateurs sur le plus long terme.
Définitions
L’Investissement socialement responsable (ISR) : ce type placement vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises qui contribuent au développement durable dans tous les secteurs d’activité.
L’épargne solidaire regroupe les formes d’épargne et d’investissement orientées vers le financement d’activités utiles socialement. Les fonds collectés sont affectés principalement au secteur social (insertion par l’emploi, logement social, etc.), à l’environnement (agriculture biologique, énergies renouvelables, etc.) et à la solidarité internationale (soutien aux populations dans les pays en voie de développement, etc.).