Prise de conscience salutaire ou réflexe de survie, la crise sanitaire liée au coronavirus suscite un recours croissant aux marchés de capitaux. En quelques mois, les émissions d’obligations sociales (social bonds) se sont envolées : 22,5 milliards de dollars ont été émis au premier semestre 2020, contre 7,5 milliards au premier semestre 2019, et les prévisions vont encore en s’accélérant. Créé en 2017, le green & sustainable hub de la Banque de grande clientèle de Natixis est en première ligne de cette offensive nécessaire. Julien Duquenne, executive director, et Thomas Garnier, associate au sein du hub, à la Banque de grande clientèle, dévoilent les étapes de mise en place de ces instruments financiers qui accompagnent pleinement les nouveaux enjeux d’un monde en mutation.
Comment définir les obligations sociales ou social bonds et plus particulièrement dans le contexte sanitaire actuel ?
Thomas Garnier : « Les obligations sociales sont des obligations dont l’allocation des fonds est fléchée vers des activités à objectifs sociaux soumis à critères de sélection et reporting. Comme le logement social, l’accès à l’éducation et aux infrastructures sociales, ou le soutien aux populations défavorisées, la thématique sanitaire est également sociale. Ces emprunts levés sur le marché, similaires aux emprunts obligataires classiques, peuvent cibler les secteurs d’activité et les personnes les plus touchés par la crise sanitaire, tout en attestant des objectifs sociaux des investissements. Pour les émetteurs autant que pour les investisseurs, les obligations sociales sont un outil prometteur pour faire face aux conséquences de la Covid-19. »
Comment le green & sustainable hub s’est-il positionné sur le marché des green et social bonds ?
Thomas Garnier : « Natixis s’est engagée rapidement sur ce marché. Nous avons répondu présent lorsque ces marchés étaient encore en développement afin de soutenir leur croissance. En tant que banque d’investissement, notre travail consiste à intégrer les thématiques environnementales et/ou sociales dans des considérations financières, comme dans les produits financiers courants. Depuis trois ans, sous la responsabilité d’Orith Azoulay, notre équipe de 15 personnes est au cœur des discussions avec les différents métiers de la banque. Elle est composée :
- d’un centre d’expertise, sorte de système nerveux en charge de la réflexion fondamentale sur les sujets sociaux et environnementaux,
- d’une équipe de structuration et d’origination de financements adaptés (obligations, crédits, titrisations…),
- d’une équipe d’ingénierie de solutions d’investissement innovantes sur les thématiques environnementales et sociales pour nos clients investisseurs,
- et d’une équipe de syndication dédiée aux investisseurs engagés dans une démarche responsable. »
Comment le green & sustainable hub conçoit-il ses produits ?
Julien Duquenne : « Nous avons contribué au développement d’un certain nombre de standards de marchés comme les Green Bond Principles (de l’ICMA) ou au sein de la Loan Market Association pour l’activité de prêt (les Green & Sustainability Linked Loan Principles). Nous constituons une « boîte à innovation », un véritable centre d’expertise opérationnel qui répond aux préoccupations de funding, de financement pour des catégories de clients très hétérogènes : états souverains, agences gouvernementales, banques multinationales, banques ou entreprises commerciales. Nous pouvons ainsi « co-originer » et « costructurer », c’est-à-dire trouver des solutions de financement de tous types de formats en associant les équipes de la banque avec divers types d’acteurs, tout en suivant les standards de marché, tout particulièrement la taxonomie européenne (EU Taxonomy, outil de classification sur lequel s’appuieront les futures réglementations sur l’investissement durable, ainsi que le nouveau label vert européen). »
Le principe est-il le même pour les social bonds ?
Julien Duquenne : « Depuis l’origine, environnement et social sont intimement liés. Nous les considérons de la même façon. Au début, le « green » s’intéressait en priorité aux questions climatiques, et cette thématique était alléchante pour le plus grand nombre d’investisseurs. Avec la crise de la Covid-19, nous avons assisté à un essor important de la demande pour les thématiques sociales. Pourtant, celles-ci existaient depuis beaucoup plus longtemps, mais ne suscitaient pas le même engouement. Pour mémoire, nous avons contribué au lancement du premier social bond pour Danone il y a deux ans. À l’époque, quand nous allions « pitcher » – présenter nos dossiers – auprès de nos clients, on sentait bien que le marché frémissait, mais avait du mal à démarrer. Parallèlement, les encours d’obligations vertes progressaient fortement. La pandémie a déclenché des besoins de financements colossaux, surtout au niveau étatique et des banques de développement. À titre d’exemple : l’Unédic a lancé une série de deux émissions d’obligations sociales à hauteur de 4 milliards d’euros chacune avant l’été, destinées notamment à combattre les effets de la Covid-19. Nous étions alors seul structureur et agent placeur pour eux. »
Natixis est donc un acteur très engagé dans cette évolution…
Julien Duquenne : « Oui, Natixis est très active sur le forum green & social bonds et dans les groupes de travail qui visent à affiner ces gouvernances. Au printemps dernier, face à l’explosion des besoins, des « hélicoptères monétaires », c’est-à-dire des schémas d’urgence, se sont mis en place. Nous étions prêts et nous avons pu être force de proposition. Natixis a participé à la définition des standards. Dès le début, avec les réseaux du Groupe BPCE, nous avons lancé une obligation sociale qui visait le développement des territoires. Aujourd’hui, nous sommes engagés dans la structuration des plus grosses obligations sociales du marché comme celle de l’Unédic. »
Comment s’assurer et assurer à vos clients investisseurs, de la sécurité de ces instruments financiers, et éviter l’apparition de potentielles controverses ?
T.G. et J.D. : « Toutes les ressources de l’équipe sont mobilisées pour aller un cran plus haut, non seulement en recherchant l’impact pour tous les bénéficiaires, mais aussi en mettant en place des mesures de performance qui contribuent à l’émergence de cercles vertueux, pour que l’épargne s’oriente naturellement vers ces projets green ou sociaux. Par exemple au sein de la Banque de grande clientèle, depuis 2019, le Green Weighting Factor, outil interne de qualification et de gouvernance, permet de quantifier l’impact climatique de notre activité de financement. Également,nous sommes particulièrement vigilants à toujours appliquer les meilleures pratiques et standards de marché afin de maintenir l’intégrité environnementale et/ou sociale des produits que nous développons avec nos clients. »
Vous travaillez donc ensemble avec vos clients à l’élaboration de ces mesures ?
Julien Duquenne : « Oui, nous « challengeons » aussi nos clients, afin de bien aligner les intérêts et trouver un cap, une gouvernance. Nous allons très loin dans la gouvernance interne de ces organismes. Il s’agit de leur faire entendre ce que recherchent les investisseurs, à savoir une notion de redevabilité importante. Nous observons ainsi, en qualité de structureur, que nous contribuons souvent à une amélioration de la communication interne, en invitant par exemple les directions des financements et les directions du développement durable à se mettre autour d’une table pour sortir un instrument responsable et construire des stratégies associées. Nous collaborons étroitement avec eux à l’élaboration de leur cadre d’émission (framework, document cadre associé à un émetteur qui lui permet de présenter au marché la gouvernance qui régit les aspects sociaux ou environnementaux de son émission, respectueux des principes des « Green/Social Bond Principles »). Nous avons ainsi travaillé en étroite collaboration avec les équipes de la CADES* pour l’émission inaugurale du plus important social bond qui vient de se clore avec succès, pour un montant total de près de 5 milliards d’euros. »
*Caisse d’amortissement de la dette sociale
Y aura-t-il, selon vous, une deuxième vague d’obligations « sanitaires » liées à la pandémie de Covid-19 ?
Julien Duquenne : « La pandémie a accéléré l’évolution en cours. La demande en « Covid 19 social bonds » a été très forte au début de la crise. Un certain nombre d’acteurs, tant du secteur public que privé, ont su se mobiliser dans l’urgence. Plusieurs centaines de milliards de dollars ont été levés sur un périmètre mondial. Depuis l’été, le marché est nettement plus calme, car une grosse partie des besoins nécessitant une réponse immédiate ont été financés. Mais il y aura probablement une seconde vague de Covid-19 social bonds visant à adresser les enjeux sociaux à long terme de la crise sanitaire, car c’est un vrai produit qui s’est très vite développé et qui respecte les grands principes de marché attendus, tout en répondant rapidement sur des durées variables aux enjeux de la crise sanitaire. »
Soutien direct à l’économie, financement du chômage partiel et des infrastructures sanitaires d’urgence… À l’aune des actions engagées, peut-on dire que les green et social bonds font bouger les lignes ?
T.G. et J.D. : « Nous avons très peu de temps devant nous pour essayer de changer les choses d’un point de vue climatique, social et environnemental. Tout est lié. La mise en place de programme d’émissions respectant les critères précités, visant le financement de projets vertueux d’un point de vue « vert » et « social », contribue à renforcer les stratégies de ces acteurs sur ces thèmes, tout en augmentant leur « redevabilité », à savoir leur capacité à rendre des comptes sur l’atteinte de ces objectifs. Voilà ce que Natixis a mis au cœur de sa stratégie en 2018, ce qui permet d’élargir les sujets discutés avec nos clients sur des axes différenciants. En tant que seul structureur du programme de l’Unédic (qui s’ajoute à nos nombreuses références sur le marché des obligations sociales), nous détenons une position forte sur ce marché en développement. »