Publié le 21/03/18
Publié le 21/03/18
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Orith Azoulay, Responsable Green & Sustainable Finance, et Louis Douady, Directeur de la Responsabilité sociale et environnementale (RSE) de Natixis, présentent un panorama du marché des actifs verts et durables.

Louis-Douady Orith-Azoulay

La Conférence de haut niveau de la Commission européenne sur le financement de la croissance durable, qui s’ouvrira le 22 mars à Bruxelles, donnera l’occasion de poursuivre la dynamique initiée par le Climate Finance Day et le One Planet Summit, qui se sont tenus à Paris en décembre 2017, et de rassembler le soutien et l’engagement des leaders de l’Union européenne et d’acteurs privés majeurs en faveur du Plan d’action de la Commission sur la finance durable.

 

Les principales priorités du Plan d’action consisteront à :

  • établir un langage commun pour la finance durable, ou une taxinomie, afin de définir ce qui est durable et d’identifier les domaines dans lesquels les investissements durables peuvent avoir la plus forte incidence.
  • créer des labels de l’UE pour les produits financiers verts, afin de permettre aux investisseurs de déterminer facilement les investissements qui respectent des critères de faibles émissions de carbone ou d’autres critères environnementaux.

 

Comment et pourquoi l’investissement durable suscite-t-il un tel intérêt depuis quelques années ?

Orith Azoulay : Dans une large mesure, le principal moteur de croissance de l’investissement durable réside dans l’intérêt accru que lui portent les investisseurs institutionnels. Par ailleurs, les gérants d’actifs se rendent progressivement compte que l’intégration des problématiques de développement durable, en particulier les problématiques climatiques, contribue non seulement à une gestion rigoureuse des risques (passifs environnementaux, stranded assets, risques réglementaires, physiques ou technologiques), mais offre également une certaine différenciation commerciale et favorise des stratégies d’investissement saines (avantage au premier entrant-first mover advantage et politiques d’investissement axées sur la croissance et l’innovation). Les détenteurs d’actifs, en particulier les acteurs publics, intègrent de plus en plus les problématiques ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) dans leurs appels d’offres et y voient un élément indispensable de leur obligation fiduciaire qui répond également aux pressions croissantes de la réglementation et de leurs parties prenantes.

Enfin, cet élan provient aussi du monde des entreprises, dont les modèles économiques sont bouleversés dans de nombreux secteurs par l’évolution rapide de l’environnement réglementaire. Ces changements, qui ont un impact majeur sur le plan opérationnel, contraignent les entreprises à intégrer le développement durable dans les coûts et la gestion des risques (couverture, gestion des ressources, actifs échoués, coûts énergétiques) et à gérer des évolutions fondamentales ; des éléments qui ont un effet direct sur le chiffre d’affaires (obsolescence de certain(e)s technologies et équipements, émergence d’une économie sobre en carbone avec de nouveaux acteurs et de nouvelles technologies, changements des habitudes de consommation).

Louis Douady : Il convient également de souligner que ces évolutions sont répercutées au niveau réglementaire. La Commission européenne a, par exemple, annoncé récemment qu’elle entendait proposer d’ici la fin du mois de juin un texte législatif qui imposerait aux investisseurs institutionnels et aux gérants d’actifs de tenir compte des aspects de développement durable lorsqu’ils réalisent des investissements. Autrement dit, l’obligation fiduciaire des gérants d’actifs englobera désormais clairement les thématiques ESG (environnementales, sociales et de gouvernance).

Quelles sont les classes d’actifs vertes et durables disponibles aujourd’hui ? Et demain ?

Orith Azoulay : À l’heure actuelle, les principales classes d’actifs vertes et durables sont des actions, des obligations et des prêts à terme, principalement dans les secteurs des infrastructures et de l’immobilier. Cela étant, d’autres classes d’actifs font leur apparition. Elles comprennent les solutions d’investissement structurées en actions et obligations (comme le repackaging d’obligations vertes et les obligations indexées sur actions), la titrisation (titres adossés à des actifs (ABS) et titrisation synthétique) et les facilités de crédit renouvelable intégrant des critères ESG dans leurs grilles de marge.

 

Quelles sont vos prévisions pour le marché des obligations vertes et durables en 2018 ?

Orith Azoulay : Globalement, sur le marché des obligations vertes, sociales et durables, nous devrions constater de plus hauts niveaux de participation de la part d’une variété d’investisseurs. Le marché des obligations sociales, bien qu’il soit encore jeune, est un segment à suivre, car il continue de bénéficier d’une demande accrue de la part des investisseurs internationaux et il établit une connexion parfaite avec le cadre des Objectifs de développement durable des Nations Unies que les investisseurs souhaitent de plus en plus utiliser.

Par ailleurs, il existe un potentiel considérable pour les covered bonds (obligations sécurisées) sur le marché des crédits immobiliers, comme l’illustrent la récente initiative Energy efficient mortgages (crédit immobiliers éco-efficaces) de la Fédération hypothécaire européenne et la mise en place prochaine d’un projet pilote visant à prouver que l’efficacité énergétique et la performance financière peuvent être corrélées.

Nous percevons également un potentiel important sur les marchés des prêts (prêts à terme adossés à des actifs et prêts à des entreprises) et de la titrisation.

En quoi la base des émetteurs d’obligations vertes a-t-elle changé ? Doit-on s’attendre à voir de nouveaux émetteurs tirer profit de ce marché ?

Orith Azoulay : Tout au long de l’année dernière, nous avons constaté un élargissement de la base des émetteurs, traditionnellement composée d’États, de marchés émergents et de banques. Cela dit, la participation des entreprises fait encore cruellement défaut, en particulier des entreprises américaines et britanniques. De leur côté, les banques continuent de lancer des émissions obligataires inaugurales. Bien que cette tendance soit naturellement souhaitable, force est constater que les émissions du secteur bancaire dans son ensemble ne sont pas à la hauteur de ses capacités. Natixis avait vu juste en tablant sur un volume d’émissions de l’ordre de 143 milliards USD en 2017.

Cette année, nous anticipons 204 milliards USD, soit une hausse de 45 % en glissement annuel.

Une autre tendance surprenante a été l’émergence des obligations hybrides vertes et des sukuks verts, preuve s’il en est que nous sommes toujours face à un marché émergent ouvert à l’expérimentation, aussi bien du point de vie des émetteurs que des instruments. Il est difficile à ce stade de déterminer précisément les contours futurs du marché global et quels instruments joueront le plus grand rôle.

À quels défis ou contraintes le secteur est-il confronté ? Comment les surmonter ?

Louis Douady : Le défi le plus important pour le secteur consiste sans aucun doute à définir ce qu’est en fait un actif vert ; une question qui s’étend également à ses différentes taxinomies. À ce titre, l’élaboration d’une définition commune d’un « actif vert » et d’une méthodologie d’évaluation de ce type d’actifs est une priorité pour tous les acteurs. La Commission européenne a récemment annoncé une avancée dans ce domaine avec son Plan d’action sur la finance durable, dont l’objectif est de clarifier ce qui peut être qualifié d’« investissement vert », et plus important encore, le lancement d’un processus afin de produire une taxinomie permettant d’énoncer des critères spécifiques.

En parallèle, d’autres acteurs comme la Banque européenne d’investissement, le Groupe d’experts de haut niveau (HLEG) de l’Union européenne et l’organisation Climate Bond Initiative (CBI) travaillent également sur des projets similaires. Nous pensons donc qu’une définition commune devrait émerger au cours des prochaines années.

Comment les orientations et les réglementations relatives aux actifs verts, sociaux et durables ont-elles évolué ? Quels sont les enjeux à venir ?

Orith Azoulay : Natixis joue et continuera de jouer un rôle actif dans la définition des orientations et des normes du marché. Par exemple, au cours de la Conférence « Green & Sustainable Assets » organisée par Natixis en mars, une séance entière était consacrée à ce thème et comptait sur la participation de la CBI, de la BEI et de l’International Organization for Standardization (ISO). Au niveau formel, nous continuerons de dialoguer avec la CBI et le HLEG, qui compte parmi ses experts Philippe Zaouati, Directeur général de Mirova, une société affiliée de Natixis Investment Managers. Nous avons également consacré énormément de ressources pour faire des recherches sur ce thème et nous sommes actuellement en train de compiler une liste de recommandations.

Louis Douady : Par ailleurs, comme nous l’avons annoncé en décembre 2017, Natixis a l’intention de mettre en place un mécanisme de Green Incentive pour aligner davantage ses financements sur les objectifs de l’Accord de Paris, en soutenant les actifs « verts » par rapport aux actifs « marrons ». Depuis, nous avons lancé un groupe de travail interne, chargé d’étudier comment le mécanisme peut fonctionner dans différents secteurs (l’énergie, l’immobilier, l’exploitation minière et la métallurgie font partie du projet pilote) et de définir ce qui constitue des actifs « verts » et « marrons » dans ces secteurs d’ici la fin juin 2018.